02 mars 2018

Sébastien Proulx : Un livre et des questions


La semaine dernière, le ministre de l’Éducation du Québec, Sébastien Proulx, a lancé un livre intitulé «Un Québec libre est un Québec qui sait lire et écrire». Il serait bien difficile de lui donner tort sur ce point puisque la maitrise d’une langue est plus qu’une compétence : elle est un espace d’épanouissement, de pensée et de liberté. Il serait également difficile de soutenir que la culture générale et la littérature, comme il l’affirme, ne sont pas nécessaires à la formation des jeunes et moins jeunes.

Non, ce sont bien d’autres points soulevés dans ce long texte de 144 pages qui m’interpellent et me questionnent.

Ambiguïté sur le statut de ce livre

La première interrogation qui vient à l’esprit à propos de cet ouvrage est bien sûr son statut : comment peut-on faire abstraction du fait que son auteur, qui veut convier le monde scolaire à un dialogue, soit aussi un ministre de l’Éducation et, qui plus est, un ministre qui sera en élection dans sept mois? M. Proulx affirme ne pas avoir voulu rédiger un plan de travail, un programme électoral ou un bilan (p. 12), mais ce texte est un peu tout cela à la fois. Comment considérer ses propos comme ceux d’un simple observateur du monde scolaire alors qu’il en est le principal décideur? S’installe un certain malaise et on ne cesse de se demander «Qui parle?» et «Que nous réserve-t-il pour l’avenir?»

Dans la même veine, et de façon plus générale, on en vient à s’interroger à savoir quelles sont les grandes orientations qui guident le parti Libéral depuis son élection il y a près de quatre ans. Celles de son programme électoral qu’il a jeté aux oubliettes? Celles d’un des prédécesseurs de M. Proulx qui affirmait qu’il n’y aurait pas un enfant qui allait mourir de ne pas avoir de nouveaux livres? Celles de la nouvelle politique de la réussite éducative que ce ministre a adoptée en juin dernier et que certains analystes ont qualifiée de décevante?

On ne le sait plus. Et pourtant, toute cette question est fondamentale si on veut assurer un développement cohérent et suivi des jeunes qui fréquentent nos écoles.

Une vision déchirée du système scolaire

Dans de nombreux passages, le ministre Proulx dépeint le système scolaire actuel de façon quasi idyllique, suggérant même d’ouvrir des écoles made in Québec à travers la planète: «Notre école est reconnue, nos méthodes sont éprouvées, nous sommes parmi les meilleurs au monde dans bien des disciplinaires scolaires, d’autres enfants ou des adultes apprenants seraient choyés de recevoir notre diplôme à l’étranger.» (p. 52)  Il souligne également que le Québec semble bien se tirer d’affaire si on se base sur les résultats des tests PISA en 2015. (pp 72-73)

Alors, pourquoi vouloir refaire tant de choses si le système scolaire québécois va si bien? Comment peut-on vouloir exporter notre expertise si on l’estime déficiente? Et surtout comment avoir oublié que les résultats des tests PISA sont, de l’avis même des auteurs de cette étude, à prendre avec «circonspection» à cause du faible taux de réponse des écoles québécoises qui ont été sollicitées pour participer à celle-ci?

Le mythe du changement

Chose certaine, le ministre Proulx est un adepte du changement. Ce mot revient régulièrement dans son ouvrage et est toujours présenté de façon positive. Par contre, on le verra plus loin, on retrouve moins, peu ou pas du tout dans son texte des termes comme «enseignement explicite», «données probantes», «efficacité» ou «rigueur».

Emporté par son élan de changement, le ministre écrit : «Il faut résister à la tentation de dire : ‘’Il faut être prudent. Je ne ferai rien de différent.’’» (p. 13)  Il affirme même que le ministère qu’il dirige ne doit pas «punir les rêveurs». (p. 58) M. Proulx utilise par ailleurs des termes durs pour décrire les gens réfractaires à la nouveauté, les qualifiant de «fatalistes» (p. 10) de «tenants du statu quo» (p. 64)  ou d’«objecteurs de changements». (p. 64)   Mais que valent ces changements s’il n’est pas démontré, recherches sérieuses à l’appui, qu’ils sont profitables pour les jeunes Québécois?

Et c’est ici qu’on relève la première contradiction majeure de cet ouvrage. Selon le ministre, les élèves sont des «matières à forger» (p. 17) mais «Pas à partir d’idéologies. Pas à partir de convictions personnelles.» (p. 17) Or, bien des propos du ministre sont généralement peu ou pas étayés sur des données probantes.

Le mythe du beau

Pour le ministre Proulx, les jeunes du Québec «ont le droit de fréquenter de belles écoles.» (p. 39) Nous pouvons tous en convenir, surtout quand on constate l’état actuel de plusieurs d’entre elles. «Nous bâtirons différemment et mesurerons les résultats qui s’ensuivront.» (p. 41) Mais de quels résultats parle-t-on? Mais pourquoi cette frénésie du beau, puisque le ministre reconnait lui-même quelques pages plus tard que «l’architecture seule n’a pas une incidence significative sur la réussite des élèves»? (p. 50)

Il ne s’agit pas de dénigrer cette volonté de bâtir ou d’aménager de belles écoles au Québec, mais simplement de souligner que cette initiative a moins d’impact sur la réussite scolaire que bien d’autres mesures dont l’efficacité a été largement reconnue. Investira-t-on encore dans les structures physiques sans s’intéresser à donner tout d’abord aux élèves l’accompagnement et les services dont ils ont besoin pour leur réussite?

Des exigences spécifiques à l’égard des enseignants

Pour le ministre Proulx, les enseignants ont un statut spécial. Ils font un peu plus que les autres employés de l’État en ce sens qu’ils «façonnent […] notre avenir.» (p. 31) Ce sont des «vocations qui tendent vers un but commun.» (p. 66) Ah! la fameuse vocation… que d’idées a-t-on lancées en ton nom!

C’est pour ces raisons que certaines exigences spécifiques doivent s’appliquer à ceux qui oeuvrent en éducation, notamment en ce qui a trait à la langue parlée et écrite, la compétence professionnelle ainsi que la formation des enseignants et leur accompagnement en début de carrière. (p. 31)  Pourtant, en quoi la qualité de la langue ou la compétence professionnelle serait-elle moins importante pour tout autre fonctionnaire? Ce dernier doit-il avoir moins la vocation pour son emploi? Accepterait-on des infirmières, des biologistes ou des procureurs moins compétents que devraient l’être les enseignants?

Voici concrètement comment se traduiraient quelques-unes de ces exigences.

Tout d’abord, les futurs enseignants devraient faire partie de l’«élite pour occuper l’emploi le plus important dans une société» (p. 65) et devraient avoir plus qu’un baccalauréat, soit une formation universitaire de deuxième cycle leur donnant également une solide culture générale. (p. 32) Le ministre sait-il que le bac en enseignement actuel est d’une durée de quatre ans comparativement à trois pour bien d’autres formations? Et, alors qu’on vit une pénurie quant au personnel enseignant, comment pourra-t-il convaincre de nouveaux venus de s’engager en éducation en maintenant les mêmes conditions salariales qui sont sous la moyenne canadienne tout en ayant des exigences plus élevées? C’est faire fi de la logique du marché de l’emploi.

De plus, le ministre croit que les enseignants devraient voir leur développement professionnel encadré afin de s’assurer annuellement d’un certain nombre de jours de formation continue. (p. 32) Encore ici, le ministre sait-il que le plan Courchesne de 2008, en ce qui a trait au français, prévoyait une mesure similaire qui n’a jamais été appliquée? Pourquoi avance-t-il cette idée alors que bien des directions d’école et des commissions scolaires veillent déjà à s’assurer de la formation continue de leur personnel, comme il le reconnait lui-même plus tard dans son texte?  (p. 46)

Enfin, en ce qui a trait à la valorisation de cette profession, le ministre croit inévitable le fait d’aborder les notions d’évaluation des enseignants et de la création d’un ordre professionnel pour ces derniers (p. 35), une idée qu’ils ont pourtant majoritairement rejetée et qui serait à la fois contre-nature de leur imposer. D’ailleurs, à plus d’une reprise, l’Office des professions du Québec n’a pas recommandé la création d’un ordre professionnel pour les enseignants, jugeant qu’aucun danger évident de préjudice envers le public n’a été démontré.

Ces exigences à l’égard des enseignants, son souhait de moins parler en termes de «Conseil du trésor» (p. 35) et de «relatons de travail» (p. 35), sa volonté d’accorder plus de pouvoirs aux directions des écoles québécoises (p. 54)  et d’augmenter le rôle du privé en éducation (p. 73), tout cela révèle que le ministre, bien que maintenant membre de la grande famille politique libérale, a peu renié les idées qu’on défendait à la défunte ADQ et aujourd’hui à la CAQ.

L’exercice auquel s’est livré le ministre Proulx est ardu et louable, mais je me demande quel était son véritable objectif. Cependant, loin d’être fataliste ou tenant du statu quo, il me laisse avec trop d’interrogations et de malaises. Cet ouvrage, enfin, néglige également d’aborder un élément important qu’on retrouve pourtant dans le titre de celui-ci : l’écriture. Que propose le ministre sur ce point? Comment peut-il accepter, entre autres, que l’examen d’écriture de cinquième secondaire en français de son ministère permette à un élève de le réussir tout en faisant une faute tous les 15 mots en ce qui a trait à l’orthographe d’usage et l’orthographe grammaticale?  Peut-être faudra-t-il attendre un prochain livre de M. Proulx pour le savoir.

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