06 juillet 2017

À propos du «tripotage» des notes: un oubli majeur

Depuis quelques semaines, le monde de l'éducation a connu tout un débat concernant le «tripotage» des résultats scolaires qu'obtiennent les élèves (lire ici le dernier chapitre de cette saga). On a ainsi constaté que les notes données par les enseignants pouvaient être modifiées de différentes manières. Effectuons tout d'abord un nécessaire retour sur ces pratiques dont on a parlé récemment avant d'en aborder une qui y est directement reliée et qui a été complètement oubliée.

Les modifications des résultats par le MEES

Ainsi, au niveau du ministère de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur, (MEES) concernant les résultats scolaires des élèves, trois opérations sont possibles.
- L'augmentation automatique à 60% par le MEES des résultats compris entre 57 et 59% à tout examen ministériel. On explique cette pratique par la volonté de ne pas pénaliser un élève quant à un éventuel biais lié à la correction des examens. On note que ce principe de précaution ne s'applique qu'à la hausse.
- La conversion du résultat de la note de l'élève à un examen ministériel afin de s'assurer que les taux d'échec soient comparables d'une année à l'autre et ainsi éviter le biais lié à la conception d'épreuves différentes chaque année. Après des dizaines d'années d'application de ce principe, on peut se demander si ce dernier n'a pas fini par dénaturer les résultats obtenus par les élèves. En effet, ce que l'on peut remarquer est que cette conversion ne semble s'appliquer qu'à la hausse avec comme conséquence qu'un examen trop facile viendra automatiquement influencer également à la hausse la conversion des examens subséquents. Pour appuyer mon propos, notons les deux passages suivants (les mots en italique sont de moi):
  • «Cette conversion consiste à relever légèrement les résultats à une épreuve, rendant ainsi comparables les taux d’échec des différentes cohortes.» - tiré du site Internet du MEES.
  • « Afin d’éviter de pénaliser indûment les élèves, le ministre peut réviser les résultats qu’ils obtiennent aux épreuves qu’il impose pour pallier les imperfections ou les ambiguïtés de ces épreuves qui peuvent être portées à sa connaissance après leur passation.» - article 470 de la Loi sur l'instruction publique
- La modération du résultat-école des élèves en fonction de leur note obtenue à l'examen ministériel. Cette modération peut se faire à la hausse ou à la baisse, mais elle ne peut évidemment pas entrainer un échec qui a obtenu la note de passage à l'examen ministériel.  Cette pratique vise à minimiser les écarts qui pourraient se produire entre les résultats donnés au cours de l'année par différents enseignants. On comprend ici que le résultat à un examen ministériel, qui ne couvre jamais l'ensemble du programme qu'a vu (ou non) un enseignant en classe, fait foi de tout.


 Les modifications des résultats par les commissions scolaires ou les écoles

Pour leur part, au niveau des commissions scolaires (CS) ou des écoles, on a vu dans l'actualité récente que deux opérations sont possibles quant aux résultats scolaires.
 - Une invitation, pour les enseignants dans certaines écoles, à inscrire dans le bulletin une «note plancher» se situant entre 30 et 40%. L'argument le plus souvent invoqué pour justifier cette pratique est de vouloir éviter qu'un élève se décourage devant ses résultats scolaires et ainsi limiter le décrochage.
- L'augmentation automatique à 60% par les écoles des résultats compris entre 57 et 59% à toute note de fin d'année scolaire. Dans le cas présent, les CS indiquent se baser sur une pratique similaire à ce que fait le MEES quant aux examens ministériels, mais le ministre de l'Éducation, Sébatstien Proulx, leur a demandé de revoir cette pratique. Dans les faits, une telle façon de procéder existe d'aussi loin que je me rappelle. Au début de ma carrière, dans le cas d'un élève ayant un résultat annuel compris en 57 et 59%, on nous invitait soit à donner 60% à l'élève concerné soit à maintenir notre résultat. Plusieurs années plus tard, on nous invitait soit à donner 60% à l'élève concerné soit à modifier à la baisse le résultat afin qu'il ne soit pas automatiquement augmenté.

Une pratique qui a sombré dans l'oubli... après trois ans

Un élément qui a été oublié dans tout ce débat a pourtant secoué le monde de l'éducation au début de l'année 2014: les règles de passage d'une année scolaire l'autre (voir ici, ici, ici et ici).  Regardons ce qu'il en est pour le secondaire.

Il faut savoir qu'avec la réforme, le parcours scolaire d'un élève a été divisé en cycle. Ainsi, la première et deuxième année du secondaire constituent le premier cycle du secondaire tandis que la troisième, quatrième et cinquième année, le deuxième cycle.

Si l'on prend le premier cycle du secondaire, le passage d'une année à l'autre n'est pas automatiquement relié à la note donnée par un enseignant. Afin d'éviter le redoublement, par exemple, un élève en échec en mathématique de première secondaire pourra être promu en deuxième secondaire par la direction d'une école. Elle fera alors une étude «cas par cas», pourra suggérer des moyens de soutien et ne tiendra pas compte, le cas échéant, de l'avis défavorable d'un enseignant.

Si l'on prend maintenant le passage d'un élève du premier au deuxième cycle (de la deuxième année du secondaire à la troisième), les règles diffèrent d'une commission scolaire à l'autre. On repassera pour l'uniformité. Dans un cas, pour être promu, un élève doit avoir cumulé 28 unités sur 36 de deuxième secondaire et avoir réussi ses cours de français et de mathématiques. Dans un autre, l'élève doit avoir réussi deux matières de base sur trois (mathématiques, anglais et français) et avoir cumulé 18 crédits de deuxième secondaire.

Il faut savoir que les moyens d'accompagnement ne suivent pas toujours ce qui est annoncé et l'enseignant qui accueillera ce jeune, ainsi que plusieurs autres parfois, pourra être rapidement débordé. Un fardeau énorme est ainsi mise sur les épaules des enseignants de troisième secondaire qui accueillent des jeunes qui n'ont pas réussi un cours de mathématiques depuis la sixième année. De plus, un élève peut être promu à une année suivante tout simplement parce qu'il a suivi un cours d'été qui, on le sait, ne constitue pas une révision d'une année scolaire complète mais plutôt un cours préparatoire à la réussite d'un examen (un bel exemple d'«enseigner pour évaluer»). Je m'explique toujours mal comment un élève qui a échoué une année précédente pourra reprendre ce retard tout en assimilant en même temps de la nouvelle matière. Enfin, notons aussi la pression que ressentent les enseignants des matières autres que celles de base. À cause des unités minimales exigées, comment justifier qu'un échec dans le cours d'Éthique et culture religieuse puisse empêcher la promotion d'un jeune en troisième secondaire?

Dans les faits, la promotion des élèves d'une année à l'autre relève de la direction de l'école et des CS jusqu'à la troisième année du secondaire. Ce n'est qu'en quatrième et cinquième année, avec la présence d'examens ministériels, que cette situation est différente. Des école ou des CS utilisent-elles à leur avantage cette façon de procéder afin d'améliorer leurs résultats en termes de décrochage scolaire? Certains se posent cette question à laquelle il m'est impossible de répondre.












1 commentaire:

Jonathan Livingston a dit…

Dans le milieu de marge où j'ai travaillé depuis 3 ans, j'entendais régulièrement que certains élèves auraient dû doubler, mais les parents s'y étaient opposés. L'introduction d'un article du RIRE (12 janvier) semble confirmer ce pouvoir décisionnel: « À chaque année (Sic), des centaines de parents doivent prendre une décision difficile : accepter ou non que leur enfant ayant des difficultés redouble son année.» (http://rire.ctreq.qc.ca/2015/01/redoublement_dt/). Je ne sais pas si c'est dans la loi ou simplement une pratique courante de ne pas s'opposer aux parents... Évidemment,on a aussi dans ce milieu des jeunes qui refont jusqu'à 3,4 et même 5 fois certaines épreuves ministérielles et qui ne les réussissent toujours pas...

L'an dernier, j'avais 6 élèves sur 15 munis de portables légitimés par un plan d'intervention. Il rédigeait leur production écrite avec Word, Word Q et Antidote. Autant dire que ces jeunes étaient dispensés de faire tout nouvel apprentissage en écriture. Une seule me semblait avoir besoin de cet outil. Je le voyais aisément dans les comptes-rendus qu'ils me remettaient régulièrement que je ne sanctionnais pas au niveau de l'orthographe.

J'ai un élève que j'ai eu pendant 3 ans qui a, à la faveur d'une médication, régulé son TDAH et à qui on avait donné un portable avec tout le kit qui continuait à l'utiliser, ce qui a toujours constitué pour moi une injustice à l'endroit de ses pairs. Il aurait été nettement capable de réussir sans cet aide. Mais, quand j'ai soulevé le problème que certains de mes élèves obtenaient des notes de 80% et plus avec leur machine et que je trouvais qu'il y aurait lieu de croire qu'il faille enlever certaines aides selon un PI ajusté à leur besoin, il semblait nettement que le problème se situait au niveau de la relation de pouvoir avec le parent qu'il faudrait convaincre. On m'a répondu que je devais faire un bon travail et de m'en féliciter! Oui faire passer un élève nul avec une telle panoplie d'aides je sais très bien le faire après 3 ans!

Peut-être est-ce parce que c'est un petit milieu où les parents sont très militants et que la direction est assez toute puissante face à la CS. Je sens quand même dans les nouvelles directives en provenance du MEES quelque désir de resserrer un peu les règles dans ce rayon des facilitateurs pour élèves EHDAA, car, d'après ce que j'ai vu, ce me semble un peu n'importe quoi...

J'ai l'habitude de penser que les notes sont davantage un très petit espace de négociation entre le prof et les élèves, car en fait on ne fait pas vraiment cas d'un certain devoir apprendre dans le milieu, tout est trop politique. Nous devons composer avec la situation et jouer des petits jeux de carottes et de bâtons pour faire travailler un peu la plupart des élèves. On est loin d'un mode d'évaluation objectif, même si on cherche à être rigoureux.