01 avril 2017

Le projet Lab-école: verse-t-on dans l'éducation spectacle?

Le ministre de l'Éducation, Sébastien Proulx, a été pris au dépourvu quand les médias ont dévoilé le nom des trois «vedettes» qui repenseront les écoles québécoises dans le cadre du projet Lab-école: Pierre Lavoie, Ricardo Larrivée et Pierre Thibault. Le tout donnait alors l'impression d'un projet plutôt mal ficelé. Et on peut se demander si ce n'est effectivement pas le cas.

Un désaveu quant au ministère

Pour appuyer cette initiative, on a indiqué qu'il était parfois important de «repenser à l'extérieur de la boite» afin de trouver de nouvelles idées. D'où ma première interrogation: à quoi sert le ministère de l'Éducation s'il n'est plus capable de gérer ou penser à l'école de demain? Le ministère est-il toujours l'endroit pour innover et faire avancer les choses? Ce choix du ministre constitue un clair désaveu du travail des fonctionnaires sous sa gouverne.

Personnellement, cette annonce ne fait que confirmer une conviction personnelle: il y a longtemps que ce ministère devrait être tenu responsable des nombreux dérapages de l'école québécoise. Au delà des activités sportives, de l'alimentation et de l'architecture, il est regrettable toutefois que le ministre Proulx ne s'intéresse pas plus à un élément tout aussi important: le curriculum et l'enseignement. «On ne veut pas changer la vocation [des écoles]. La vocation, c'est d'apprendre. On veut apprendre mieux et apprendre plus.»  Très bien, mais où sont les pédagogues et les enseignants dans ce projet? Et où sont les technologies de l'information, pourtant un incontournable de la réalité d'aujourd'hui?  

L'imagination ou l'inexpérience au pouvoir?

Si on peut être d'accord avec l'idée qu'il faut faire preuve d'imagination quant à l'école québécoise, l'inexpérience de nos «Three amigos» du ministre Proulx peut cependant soulever de nombreuses interrogations.

Prenons par exemple quelques idées de Pierre Thibault. L'architecte imagine des cours de yoga la fin de semaine dans le gymnase. Les gymnases de bien des écoles servent déjà à donner des cours la fin de semaine, le sait-il? Il rêve ensuite d'une bibliothèque scolaire ouverte le soir où le jeune pourra venir avec ses parents. Très bien, mais qui paiera le salaire des employés? Avec quel budget?

«L'école doit redevenir le coeur d'une communauté, croit le ministre Proulx. Je ne peux concevoir que, dans certains milieux, on construise des écoles neuves et à côté, on construit aussi une bibliothèque et un centre sportif.» On peut effectivement songer à établir des liens entre les écoles et les municipalités mais, on l'a vu par le passé, cette idée est loin d'être simple.

Une autre idée de M. Thibault est de libérer à jamais l'école de la clôture Frost. Très bien, mais par quel moyen assure-t-on la sécurité des élèves en milieu urbain, par exemple? Comment empêcher le ballon de se rendre dans la rue? Comment empêcher un des dizaines sinon des centaines d'élève sous la surveillance des éducateurs de quitter imprudemment la cour de récréation?

Ce sont davantage les idées de Ricardo Larrivée qui montrent à quel point ce dernier semble ne pas avoir une bonne connaissance de la réalité du réseau scolaire.  Celui-ci croit que les élèves devraient se faire à déjeuner à l'école comme ils le font à la maison: «Le pain va être là, le beurre d'arachides, les céréales.» Le beurre d'arachide? Est-il au courant qu'il existe des allergies alimentaires en milieu scolaire? Qu'avec le transport scolaire, ou le service de garde certains élèves sont déjà levés au moins une ou deux bonnes heures avant d'arriver à l'école? «On va leur enseigner ce qui est bon pour la santé et lorsqu'ils iront en classe, ils auront eu 20 minutes de cours sur l'alimentation du petit-déjeuner.» Qui paiera cette nourriture? Qui enseignera aux jeunes? Si ce sont les profs, quel cours sera coupé? Et où mangeront les enfants quand on sait que bien des écoles sont en surpopulation? Dans leurs classes?

L'argent dans tout cela?

Si nos trois penseurs croient qu'il en coûtera plus cher pour repenser l'école québécoise mais que le tout en vaudra la peine, ils auront fort à faire pour convaincre le ministre Proulx qui, déjà, annonce qu'on «peut faire mieux avec le même dollar investi. On y mettre ce qu'il faudra, en fonction de notre capacité de payer.» Imaginez: on peine à financer des services spécialisés pour les élèves en difficultés.

Il faut aussi repenser au cas de l'école Saint-Gérard à Montréal qu'on a dû reconstruire à cause d'un problème de moisissures causé par une gestion négligente et un financement insuffisant au fil des années. En 2015, ce même gouvernement exigeait le retrait des plans originaux d'un atrium central, de la toiture verte, des exigences LEED Argent et de la géothermie. Même l'école devait être plus petite, passant de 6090  à 5300 mètres carrés pour répondre aux demandes du ministère. S'il n'y a que les fous qui ne changent pas d'idée, on cherche la cohérence dans la vision qu'à ce gouvernement élu il y a trois ans. On nage une fois de plus dans l'improvisation.

Il est à se demander finalement si tout ce projet est bien réaliste ou ne constitue pas un autre écran de fumée qui cachera une désolante réalité. Actuellement, on aurait plutôt besoin de véritables états généraux afin de déterminer ce que l'on souhaite vraiment pour nos enfants et d'établir enfin un véritable consensus sur le rôle de l'école québécoise. Pour l'instant, on a davantage l'impression d'être dans de l'éducation-spectacle.  Des murs, du pain et des jeux.




12 commentaires:

Lucie a dit…

Lorsque j'ai lu cette nouvelle, ça m'a jeté à terre!

L'intention est louable, mais en effet, ces 3 personnalités ne connaissent rien au monde de l'éducation et ils rencontreront donc de nombreux écueils: le beurre d'arachides et les écoles ouvertes presque à temps plein étant déjà 2 éléments importants (ça prend des employés pour gérer le tout, donc des salaires en surplus).

Ils produiront un beau rapport qui sera finalement tabletté, car nous ne serons pas capables de nous payer ces belles écoles de l'avenir.
J'ai en mémoire l'école St-Gérard, à la CSDM: les plans ont dû être refaits car le Ministère refusait d'investir les 3 millions supplémentaires au projet soumis et où on prévoyait un atrium central, une toiture verte, des exigences LEED Argent et de la géothermie. Une école qui se voulait de l'avenir.

Oui, nous sommes rendus à l'éducation-"pestacle"!

Le professeur masqué a dit…

Je reprends votre idée et l'intègre dans ce texte! Merci à vous!

Sylvain a dit…

Plusieurs bonnes idées au départ, mais le diable, qui est dans les détails (et ceux-ci sont nombreux), ne tardera pas à se manifester. Tu en soulignes quelques uns, et ces détails sont parfois assez gros pour être très visibles, même de très loin !
Pour ce qui est du ministère, j'irai d'un exemple: le fameux tiroir École 2.0 qui y existe depuis maintenant plus de 5 ans, en a-t-on entendu parler? Que nenni! Alors ceci explique cela selon moi :-(

Jonathan Livingston a dit…

On dirait qu'on cherche des idées pour faire de la construction...

Il semble à la mode de faire travailler le monde avec des projets publics ou de l'argent public en ce moment: des ponts, des Cséries, des trains, des métros, de la fibre optique en ville partout et, pourquoi pas, des écoles pour remplacer toutes ces ruines qu'on a laissé se dégrader exprès. Les amis du régime apprécieront!

Nan! C'est pas payants des états généraux et puis, le curriculum, c'est pour les gratte-papiers.

Le professeur masqué a dit…

Jonathan: j'ai la même impression.

Elaine a dit…

Merci professeur masqué. Je sais pas qui vous êtes mais, visiblement, vous êtes un enseignant pour en savoir autant sur la réalité de l'école. Comment ose-t-on venir dire aux profs quoi faire. Ce sont eux qui sont au front, tous les jours. Oui, vivement des états généraux. Avec des propositions de solutions adaptées à la réalité, pas obligatoirement avec ce qui se fait en Finlande...

Le professeur masqué a dit…

Mme Elaine,

L'exemple finlandais est intéressant mais pas toujours nécessairement applicable au Québec

Anonyme a dit…

J'ai enseigné dans des écoles affreuses où les services étaient incroyables parce que l'équipe était mobilisée, motivée et engagée.
J'ai enseigné dans des écoles beaucoup plus jolies où les services étaient très moyens parce que l'équipe était sur un mode "minimum"
ce sont l'enseignant, l'enseignement et tout le personnel qui font la qualité pas la bâtisse !

Missmath a dit…

Professeur Masqué, vos écoles n'ont plus de pain ?
Mais qu'elles mangent de la brioche !

Le professeur masqué a dit…

Miss Math,

Ta boutade est tellement juste. Je crois que c'est là que nous sommes rendus. à l'aube de devoir faire une révolution.

Les gens ne sont juste pas encore assez écoeurés.

Missmath a dit…

Je ne crois pas.
Et ils le savent très bien.

Rachel a dit…

Misère de misère!
Déjà le Ministère compte trop d'incompétents dans ses rangs, voilà qu'ils cherchent ailleurs! Peut-être qu'il suffit d'être populaire sur les réseaux pour acquérir une vision de l'éducation? Alors que quelques trop rares chercheurs proposent des idées bien plus fertiles à la réflexion. Mais la réflexion,pour qui au juste??? Il y en a qui croient pouvoir s'en passer???