24 septembre 2013

Lysiane Gagnon et le port de signes religieux: une analyse décevante (ajout)

J’ai longtemps admiré le travail de Lysiane Gagnon. Puis, avec le temps, ses analyses m’ont désenchanté par leur manque de rigueur ou de connaissance du quotidien. Ma dernière déception en lice a trait à sa prise de position contre l’interdiction du port de symboles religieux ostentatoires chez les enseignants lundi dernier.

Pour madame Gagnon, le pouvoir d’un enseignant sur un élève  serait moindre que les professions chez qui la commission Bouchard-Taylor souhaitait voir afficher une neutralité certaine, soit les juges, les policiers et les procureurs de la Couronne. Également, l’enseignant n’incarnerait pas l’État et ne serait plus aujourd’hui une figure d’autorité. Enfin, il existerait davantage de recours possible contre des comportements arbitraires d’un enseignant que pour un juge, par exemple.
Pourtant, Mme Gagnon sait-elle que, légalement, un enseignant est en quelque sorte le dépositaire de l’autorité parentale des enfants qui lui sont confiés ? Qu’un enseignant peut procéder à des actions s’apparentant à celles exercées par des policiers, par exemple à des fouilles dans le cas de ventes de drogue ?
Soutenir qu’il est inutile d’exiger des enseignants qu’ils affichent une image neutre parce qu’ils ne sont plus aujourd’hui des figures d’autorité vient simplement amplifier ce phénomène qu’elle dénonce pourtant fréquemment.
Par ailleurs, Mme Gagnon se questionne à savoir quelle influence pourrait avoir le port de signes ostentatoires sur les jeunes? Dans son analyse, elle semble manifestement ignorer que, dans de nombreuses études, on identifie la relation maitre/élève comme un facteur déterminant dans la réussite scolaire des jeunes. Je ne dis pas que le fait qu’un enseignant porte une kippa fera décrocher des jeunes, loin de là. Simplement, je comprends mal qu’une spécialiste de l’éducation ne sache pas ce fait ou ne le mentionne même pas.
De plus, cette chroniqueuse écrit : «Dans ce foisonnement d'influences diverses, que pèse la présence d'un enseignant dévot, sur la dizaine d'enseignants auxquels un élève aura affaire chaque année?» Encore une fois, Mme Gagnon semble oublier des réalités toutes simples. Ainsi, au primaire, chaque année, les enfants n’ont de contacts directs qu’avec un enseignant tuteur et parfois deux ou trois spécialistes.
À la question maintenant de l’influence des signes ostentatoires sur les jeunes, si elle est si inoffensive, pourquoi certaines communautés refusent-elles systématiquement que leurs enfants soient en contact avec des individus n’affichant pas leurs valeurs ?  
Concernant sa référence à l’ouverture préconisée par le cours d’Éthique et culture religieuse pour justifier le port des symboles religieux ostentatoires par des enseignants, Mme Gagnon gagnerait à lire le programme concernant celui-ci. Ainsi, on peut y lire que l’enseignant donnant ce cours doit manifester un devoir de réserve dans l’exercice de sa profession. Ainsi, on indique que:
  • l’enseignant «ne doit pas faire valoir ses croyances ni ses points de vue;
  • «il lui faut comprendre l’importance de conserver une distance critique à l’égard de sa propre vision du monde, notamment de ses convictions, de ses valeurs et de ses croyances.t« pas faire valoir ses croyances ni ses points de vue»;
  • «pour ne pas influencer les élèves dans l’élaboration de leur point de vue, il s’abstient de donner le sien.»
Je crois qu’il existe des différences importantes entre des fonctionnaires travaillant dans un bureau au complexe G et des individus oeuvrant auprès de nos jeunes. Pour cette raison, il y a lieu de s’interroger sur le port de symboles religieux ostentatoires par ces derniers. Si Mme Gagnon a su débattre de ce point avec respect, contrairement à bien d’autres commentateurs depuis quelque temps, il n’en demeure pas moins que sa prise de position, en tout respect, me semble par moment plutôt faible.

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Dans Le Devoir ce matin, on peut lire cette lettre de Paul Inchauspé, qui voit dans ce projet de charte la continuité du mouvement entrepris pour «compléter la laïcisation du curriculum» de l'école québécoise.

2 commentaires:

Jonathan Livingston a dit…

Curieux, selon madame Gagnon, l'école doit laisser la liberté aux profs d'afficher leur religion parce que ce sont des figures autoritaires sans pouvoir dans un système laxiste! Et que l'impact est donc insignifiant. C'est navrant de voir qu'on accepte une fatalité inquiétante et qu'on s'en sert en plus pour faire un raisonnement étrange.

Les profs n'incarnent pas la neutralité de l'État comme les juges et les policiers, mais une certaine transmission des valeurs culturelles d'ici. C'est différent, mais aussi important. Mais évidemment, c'est moins simple de définir ce que l'enseignant doit incarner comme valeurs de nos jours...


On aime bien nous donner la figure autoritaire responsable quand ça tourne mal, mais on laisse tout le monde nous enlever ce nécessaire pouvoir( direction, parent, etc.) pour le reste. Mais jamais personne ne se rend compte que la personne qui est responsable de 30 enfants, de leur sécurité et de leur éducation ne peut mener à bien cette tâche que si on lui en donne la crédibilité et qu'on appuie cette position. Par moment, ce paradoxe est inquiétant en situation d'exercice de l'autorité en classe.

Enfin, je trouve étrange le lien fait par Madame Gagnon entre la «liberté académique» au post-secondaire et le port de signe religieux ostentatoires. Il me semblait qu'on limitait un liberté individuelle. Sinon, il faut croire que d'afficher sa religion au post-secondaire est académique!!?? Mais pas au primaire ni au secondaire!!??

Le professeur masqué a dit…

Jonathan: pour ma part, on dirait que Mme Gagnon a une opinion et qu'ensuite elle cherche des arguments pour l'appuyer. Je suis poli mais son opinion est décevante.