11 juillet 2012

De l’abus du proverbe: «Ça prend un village pour élever un enfant.»


Voilà souvent le proverbe africain que j’entends quand on parle du rôle des parents versus les missions de l’école. Au cœur de ce débat, il y a bien sûr des zones sensibles dont le thème de la déresponsabilisation parentale.

Prenons par exemple la formation de trois heures «Nager pour survivre» que le MELS entend mettre de l’avant en troisième année du primaire.  Oublions tout de suite que celle-ci est fort limitée et règlera peu de choses en fait quant à la problématique des noyades au Québec. Attardons-nous plutôt à cette question : est-ce le rôle de l’école d’assurer une telle formation?

Plusieurs parents répondent que oui en invoquant le fait qu’ils ne sont pas habiletés à enseigner la nage à leur enfant ou qu’ils manquent de temps. Ils se retournent alors vers l’école en invoquant que cela fait partie de ses missions et cite le fameux proverbe déculpabilsant telle une incantation magique.

Ce qu’il faut savoir, c’est que, dans un village africain, ce n’est pas l’école qui montre à nager aux enfants, mais bien des frères, des sœurs, des voisins. L’école joue fréquemment un rôle au sein de la communauté dans laquelle elle s’inscrit, mais pas celui-là. Elle abordera parfois des thèmes reliés à la santé et l’hygiène, par exemple, mais elle se concentrera sur la transmission des savoirs et des connaissances. Dans un village africain, aller à l’école est un privilège et l’éducateur ocuppe une position respectée. On verra rarement des parents contester ses décisions ou ses méthodes.

Au Québec, la notion de village est différente. Bien des familles vivent dans un cocon très renfermé. Et la relation avec le pseudo «village» qui les entoure est unidirectionnel : dis-moi ce que le village peut faire pour moi, mais pas ce que je peux faire pour lui.  Pis encore, le «village» ne doit pas intervenir dans la façon dont certains parents conduisent les choses.  Tentez cette expérience : ramenez chez lui un gamin au comportement irrespectueux et observez la réaction de ses parents. Il y a fort à parier qu’il vous reprocheront votre intervention, même si elle fait référence à des règles de vie basées sur le bien de la communauté. Quand au statut de l’éducateur, au Québec, il est souvent  respecté en autant qu’il n’interfère pas avec les volontés des parents. Combien de fois ai-je vu certains de ceux-ci remettre en question la compétence et l’autorité d’un collègue? Et je ne parle pas de ces cas de menaces et d’intimidation. Combien de fois ai-je même vu des parents engueuler des policiers alors que leur enfant avait commis des infractions? On est loin du village africain et bien plus près de la jungle.

Dans les faits, pour certains parents, au Québec, l’école est un service éducatif mais aussi une façon de ne pas assumer certaines responsabilités. Votre enfant ne sait pas nager et vous ne savez pas comment le lui apprendre? Demandez à l’école! Pourtant, il existe des organismes spécialisés dans ce domaine : la Croix-Rouge, des écoles de natation, etc.  Le manque de connaissance en la matière n’est définitivement pas une excuse valable au même titre qu’on ne demande pas à un parent d’un enfant malade d’être médecin, mais simplement de s’assurer que son enfant consulte un spécialiste. Reste à faire l’effort et à trouver le temps d’y aller.

Chaque famille est unique et vit ses difficultés. Chaque parent établit ses priorités. Il est également dans la nature humaine de tenter de remettre aux autres ce qu’il est possible de ne pas faire soi-même. Cependant, est-ce ici à l’école québécoise de montrer aux jeunes à survivre en cas de noyade?

On cite souvent en exemple le cas des cours d’éducation sexuelle à l’école pour justifier que celle-ci puisse aborder des contenus notionnels traditionnellement moins académiques. Ce qui est paradoxal, c’est que les gens qui utilisent cet argument reconnaissent eux-mêmes qu’il s’agit d’un domaine relié à l’éducation parentale en indiquant que leur père ou leur mère ne voulait malheureusement pas en parler.  Ils soulignent ainsi que leurs propres parents n’ont pas rempli un des rôles auxquels on s’attendait d’eux. Si la société a demandé à l’école d’aborder ces notions reliées à la sexualité, c’est bien pour suppléer ce manque parental qui cause de graves problématiques de santé chez les jeunes. Demander à l’école d’enseigner à nos enfants à survivre dans l’eau relève de la même dynamique. C’est une solution à court terme à un problème. Pas la meilleure. Même pas la plus efficace.

Les vraies solutions à ce problème résident dans la sensibilisation aux responsabilités parentales, mais aussi dans l’offre de services de soutien pour les familles où la situation n’est pas toujours facile.  À une époque où l’on remet constamment en question la qualité de l’éducation offerte par l’école ainsi que les savoirs et compétences de nos enfants, je ne crois pas qu’on doive ajouter aux écoles des obligations qui ne relèvent pas de leurs missions premières. 

«Ça prend un village pour élever un enfant.»  Or, ce village ne se limite pas à l’école et à une relation unidirectionnelle. Si certains parents veulent jouer un plus grand rôle dans le monde scolaire, ils doivent tout d’abord respecter les missions de celui-ci et les leurs.

1 commentaire:

unautreprof a dit…

Je pense que la conception de la vie dans le village africain est aussi bien différente.
Dans un milieu défavorisé, c'est différent, souvent, le parent nous laisse pas mal faire notre travail sans rechigner, tant qu'on ne le dérange et qu'on ne le sollicite pas trop, il fait de même. C'est parfois navrant de voir le désengagement, en même temps, lorsque j'entends mes amies qui travaillent dans des milieux plus favorisés parler de certains parents qui considèrent l'école comme un service non pas seulement pour leur enfant mais aussi pour eux, j'apprécie ce côté de mon milieu.

Il me semble que plus on ajoute de programme hors scolaire dans le scolaire, plus un dilue, encore, notre qualité d'enseignement.