03 octobre 2011

Facebook et les dérapages en situation de crise

Avis:
J'ai établi entre plusieurs de mes élèves et moi divers liens de communication afin de favoriser leurs apprentissages scolaires. Par exemple, nous partageons adresses de courriel, iChat et FaceBook. Les adresses que je leur ai fournies n'ont été créées qu'à cette fin et je veille à ne transmettre aucune information de nature personnelle à l'aide de celle-ci ou encore à écrire des propos qui pourraient s'avérer déplacés.

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Sans entrer dans les détails, les comptes FaceBook de mes élèves ont été très actifs au cours des derniers jours. Un jeune très populaire dans la région est mort et son décès a soulevé beaucoup d'émotion dans le milieu scolaire. Si on a assisté à une vague de tristesse et de larmes, certains comportements m'ont beaucoup questionné.

Tout d'abord, la nouvelle s'est transmise comme une trainée de poudre avec ses inexactitudes et ses rumeurs. C'est normal, FB formant une communauté qui échange des informations. Puis, il y a eu une vague de sympathie. Sauf que c'est là que j'ai cru assister à des dérapages préoccupants.

Le premier est le fait que cet événement est devenu L'Événement. Tous en parlaient, tous le commentaient. Chacun se sentait obligeait d'y «participer» en quelque sorte. On a créé des pages FB de recueillement, des activités. Aurait-on connu une pareille ampleur sans FB? J'en doute.

L'Événement a attiré des gens par solidarité mais aussi par opportunisme et mimétisme. Dans la mesure où l'on connaissait quelqu'un qui connaissait quelqu'un qui connaissait... il fallait en être. Tout le monde semblait tomber en deuil tandis que d'autres étaient mal de ne pas se sentir concernés, sentaient qu'ils devaient être concernés et subissaient, sans que cela soit voulu, une certaine pression populaire. Si on n'était pas avec la vague ou qu'on la questionnait, on devenait contre elle.

Par ailleurs , s'il est sain de dire sa peine et de la partager, je m'interroge sur le fait qu'un tel deuil devienne public et ne demeure pas personnel. Il existe des effets dangereux de renforcement à dire et à partager sa peine entre jeunes sans que cela soit «supervisé» ou «encadré» par des adultes ou des spécialistes. Les risques que les jeunes, laissés à eux-mêmes dans cet espace virtuel, alourdissent leur chagrin sont réels. L'émotivité nous amène à dire des paroles ou à pousser des gestes dont les conséquences peuvent être néfastes. Par exemple, promettre de gagner un tournoi de hockey en l'honneur de l'élève décédé, quelle lourde promesse! Quelle déception et quelle culpabilité si on perd! Ou encore, remplacer sa photo FB par celle du disparu. Pas évident de l'enlever de là un jour sans avoir l'impression de trahir la mémoire de celui qui nous a quittés.

Dans le cas d'un jeune qui se serait suicidé, il y a aussi le risque que cette vague de sympathie et de «popularité posthume» fasse naitre dans l'esprit d'un élève malheureux le scénario d'être aimé de la sorte en posant le même geste irréparable.

Je ne suis pas intervenu sur FB durant ces événements parce qu'il ne s'agissait pas directement de mes élèves, même si une partie de mon école a été touchée par cet événement. Mais il demeure néanmoins que tout cela m'a fait prendre conscience de la force des médias sociaux et des risques qui y sont reliés. De même, cette situation me montre à quel point, comme parent ou éducateur, on doit accompagner nos jeunes sur la Toile.

5 commentaires:

unautreprof a dit…

Le dérapage est facile sur facebook, suffit de penser à ces cas d'intimidation, de commentaires négatifs sur une page, sur une photo.
Les parents se doivent en effet d'être vigilants.

C'est fou quand même cet «outil», pour certains de nos jeunes, c'est tellement naturel et normal d'avoir un facebook et de toujours être connecté. C'est ce bout-là moi qui m'inquiète.

Anonyme a dit…

Comme parent qui a eu de nombreuses discussions avec sa fille sur ce sujet précis, je me suis moi-même questionné sur l'attitude a prendre en tant que parent, divisée entre l'importance d'en parler, de ne pas faire semblant, de ne pas faire l'autruche ET le risque d'être émotivement impliqué dans une situation si loin de soi, ou comme vous le dites de prétendre que ce message de solidarité risque d'en encourager d'autres... Il y avait un paradoxe: j'ai trouvé beau que la jeunesse s'élève contre la mort d'un jeune qui leur ressemble et j'ai trouvé désolant qu'un moment si douleureux pour les parents et les proches ait viré en "buzz", un peu détaché de l'atroce réalité de ce geste.

Caroline Jouneau-Sion a dit…

Bonjour,
J'ai assisté au même type de dérapages il y a quelques années pour le même type d'événement : un jeune brutalement décédé, et tout le collège s'est mis à afficher la même photo de lui sur les cahiers, les carnets de correspondance, à pleurer (y compris ceux qui ne le connaissaient pas), à déposer des lettres sur sa tombe (en face du collège), des lettres parfois infâmes qui servaient à régler des comptes entre filles ennemies et que les parents retrouvaient, lisaient. Le tout sans Facebook. Mais avec Facebook, ça se voit et ça va sûrement un peu plus loin dans le réseau...

imaginezautrechose a dit…

Je me suis sentie très touchée par votre billet, qui fait preuve à la fois de lucidité et de sensibilité. Facebook, c'est là où la limite peut se repousser un peu trop loin, voire à l'infini. Le dérapage est facile. Il faut faire attention, à l'adolescence particulièrement. Concernant l'événement précis, vous avez bien cerné, PM, les deux côtés du problème: se sentir un peu "trop" concerné ou du moins en mettre un peu trop dans l'expression d'une peine, d'une angoisse, d'un vide, au prix d'alourdir le poids du deuil à porter, ou se sentir mal de ne pas se sentir concerné...

Michèle a dit…

Vous soulevez dans ce billet plein de véracité, quelques raisons qui font que je n'userai jamais de Facebook.

Cette "place publique" où bien des sujets devraient, selon moi, être passés sous silence et vécus dans l'intimité plutôt que sur un mur rempli d'oreilles, de voyeurs, de sensationnalistes.