23 mars 2010

Michelle Courchesne: Quand on veut noyer son chien, on dit qu’il a la rage.

Actuellement, la ministre de l’éducation, Michelle Courchesne, s’est placée dans une situation intenable. Avec l’histoire des modifications au calendrier scolaire, il est évident pour tous que la ministre a menti en affirmant qu’elle ne procédait pas à ces changements pour répondre à des demandes de groupes religieux.

De la saga du calendrier scolaire...

J’ai eu du mal à croire que c’était le cas, à souscrire à des théories relevant du complot (PMT 7 février), sauf qu’il y a des évidences qu’on ne peut nier si on veut conserver sa crédibilité. La politique me décevra toujours.

Quant à moi, et connaissant l’importance des traditions parlementaires à l’Assemblée nationale, la ministre devrait remettre sa démission parce qu’il m’apparaît clair qu’elle a menti en Chambre. Sauf que personne ne peut l’obliger à le faire. Il s’agit ici d’une question relevant davantage de l’honneur… et de ne pas perdre la face. Remaniement ministériel en vue, donc.

Sur le fond de la question des modifications au calendrier scolaire, la ministre a-t-elle tort? Je ne sais pas. D’un côté, on va permettre l’application du PDF auprès d’une communauté qui ne le fait pas depuis des années. D’un autre, on a l’impression que le gouvernement a encore cédé devant certains lobbies religieux. Très, très mauvais pour l’opinion publique.

... à tous les maux en éducation

Là ou je décroche cependant, c’est quand on accuse la ministre Courchesne de tous les maux. Trois exemples me viennent en tête et deux tournent autour de cette lettre signée par Brigitte Fiset, enseignante de français de quatrième secondaire. Parlons tout d’abord de celle-ci.

Ce dernière accuse la ministre d’«avancer en arrière» avec les modifications apportées au PDF : «Vous souhaitez cavalièrement la (réforme) saborder.» Diantre! J’ai vu une ministre de l’Éducation, madame Marois pour la nommer, faire de même il y a plus d’une décennie en imposant un Renouveau et en jetant le bébé, l’eau et la bassine par la fenêtre.

Pendant des années, le mot «connaissance» était honni à l’école. On n’en avait que pour les compétences en s’imaginant naïvement que, malgré l’évaluation laxiste préconisée par le MELS, nos élèves devaient tout de même mettre en œuvre une foule de connaissances pour réussir... Les Gardes Rouges du MELS sont débarqués dans nos classes pour nous dire comment il fallait maintenant enseigner. On a même interdit certains types d’évaluation dans mon école parce qu’elles n’étaient pas «réformes». Alors, ceux qui hurlent à l’hémogénie pédagogique devraient peut-être se regarder franchement dans le miroir avant d’accuser qui que ce soit. Leurs actions passées et leur silence sont parfois révélateurs.

Combien de fois m’a-t-on invoqué l’argument de respecter l’autorité du MELS en matière de pédagogie pour m’inviter à me taire et à suivre le nouveau PDF? Honnêtement, j’ai cessé de les compter. Des débats précis sur l’approche socio-constructiviste avant l’implantation de la réforme, en a-t-on vraiment fait? Il existe aujourd’hui suffisamment d’écrits qui montrent à quel point les États généraux sur l’éducation ont été récupérés par certains penseurs pour imposer l’approche socioconstructiviste dans les écoles du Québec.

Par ailleurs, Mme Fiset y va d’une autre affirmation qui me fait sourire: «Laissez-moi vous rappeler que vous n'êtes pas une pédagogue. Vous êtes une politicienne nostalgique, comme bien d'autres, d'une époque révolue.» Peut-on me citer le nom d’un seul ministre de l’Éducation dans l’histoire récente du Québec qui était un pédagogue? Peut-on me citer le nom d’un seul ministre de l’Éducation qui ait clairement compris ce qu’était l’approche socioconstructiviste et qui n’est pas été autre chose que le porte-parole des hauts fonctionnaires du MELS et de certains lobbyistes de l’éducation?

Combien de politiciens nous parlent de l’importance des NTIC et sont incapables d’envoyer un courriel, de tenir un blogue, de naviguer efficacement sur Internet? Ça aussi, je me le demande. Jusqu’ou comprennent-ils ce dont ils parlent?

Si j’étais méchant, je dirais de Mme Fiset qu’elle est une «pédagogue nostalgique» de l’Äge d’or de la Réforme et qu’elle est déçue que l’école ne se fasse pas à sa manière. La bonne, évidemment. Celle qui correspond au «progrès». Parce qu'avancer, même si on est au bord d'un gouffre, c'est toujours avancer, j'imagine.

Mais je la sens une enseignante engagée et au service de ses élèves. Tout comme je l’étais quand on m’a dit de revoir tout mon enseignement. Quand on m’a dit que je n’enseignais pas de la bonne manière. Quand on m’a dit que j’étais conservateur et rétrograde. Pour ensuite venir dans mes classes et me dire que j’étais très réforme. Pour s’apercevoir que mes élèves apprenaient, connaissaient et «compétaient» très bien finalement.

Est-il possible de ne pas prendre la même route et pourtant d'arriver au même port? Avec les partisans de la Réforme, la réponse a souvent été : «Non! Nous savons comment bien enseigner.»

Cependant, là ou je suis déçu, c’est lorsque je vois des personnes dont j’apprécie généralement les propos embarquer tête baissée dans ce que j’appelle du Courchesne bashing sans avoir un peu de recul historique.

Ainsi, Mario Asselin écrit : «Ce qui me désole au plus haut point par contre, c’est que la ministre de l’Éducation risque de laisser à son départ un réseau et des personnes plus divisés que jamais sur un grand nombre de sujets.»

Or, ce réseau est divisé depuis l’implantation de la réforme ! Aussi bien dire depuis des lustres! Le reproche qu’il fait à Mme Courchesne mérite d’être adressé également à tous ceux qui l’ont précédée : pensons aux Marois, Simard, Legault, Fournier et compagnie. Qu’ont-ils fait pour rapprocher les tenants de deux visions de l’éducation qui s’opposaient ? Rien. Absolument rien, à part essayer de fermer la gueule à ceux qui contestaient et à mettre la magnifique machine du MELS au service d’un PDF sur lequel il existait et existe encore bien des interrogations et des divergences.

Il y a aussi Sylvain Bérubé qui commente la lettre de Mme Fiset en faisant sienne cette phrase : «Laissez-nous, sans mépris comme vous le faites, améliorer ce sur quoi nous travaillons sans vous depuis dix ans déjà!» Là encore, je décroche. J’ai simplement l’impression de me relire il y a dix ans justement. J’améliorais. Malgré tout, on est venu me dire comment faire mon travail. Souvent en subissant le mépris de MELS et de certains décideurs scolaires qui n'avaient pas mis les pieds dans une classe depuis des siècles! C’est bizarre comme rien ne change, au fond.

Enfin, on retrouve Patrice Potvin qui a siégé sur un comité de validation de la progression des apprentissages. S’il n’hésite pas à relever les incohérences du PDF actuel, jamais on ne le voit blâmer quelque ministre que ce soit pour cet état de fait. Par contre, il n’hésite pas écrire : «Ce document ressemble de plus en plus à un testament que la Ministre semble vouloir laisser derrière elle (sans consulter, comme d’habitude) et qui est à l’image de toute sa contribution au monde de l’éducation… Qu’elle n’a jamais très bien compris d’ailleurs et qu’elle admet avoir hâte de quitter. Le plus vite possible s’il vous plaît…»

Encore une fois, peut-on me trouver, au cours des dernières années, un ministre de l’Éducation qui consultait vraiment les enseignants, qui savait réellement ce dont quoi il parlait? Pour m’inspirer du titre de son billet, à peu près tous les ministres de l’éducation ont été de formidables «perroquets» d'une machine pédagogique à écraser des profs, quant à moi.

J’ai beaucoup de difficulté à écouter ces chantres de la liberté pédagogique alors qu’on a opprimé la mienne si longtemps. Que faisaient-ils lorsque j’affirmais être bafoué dans mon autonomie professionnelle, dans mes valeurs éducatives et dans mes convictions pédagogiques? Plusieurs se réjouissaient de voir enfin leur vision de l’éducation triompher. Certains me disaient de fermer ma gueule. D’autres m’obligeaient à suivre les règles du MELS sans trop de ménagement. Trop peu remettaient en question l’approche «autoritariste» du MELS à mon égard.

Un autre point qui me turlupine aussi, c’est à quel point on ramasse allégrement Mme Courchesne et ne dit rien du fait que Diane De Courcy, de la CSDM, reprend quasiment la même position que la ministre.

«Quand on veut noyer son chien, on dit qu’il a la rage», dit le proverbe.

Je ne suis pas un fan de Mme Courchesne. Sauf qu’à un moment donné, il serait bien de remettre les pendules à l’heure et d’avoir un peu de recul historique quand vient le temps d’établir le bilan de cette dernière.

Et pour l'avenir, qui va-t-on blâmer si on ne fait rien?

Cela étant dit, il est évident que le bonheur pédagogique pour moi ne se trouve ni dans le PDF actuel ni dans ce qui existait avant. Et si le balancier effectue un retour trop prononcé du côté des connaissances, comme je le suggère M. Potvin dans son texte, je serai le premier à me battre à côté de ceux dont je n'ai partagé pas toujours les convictions parce que nous serons réunis autour d’une cause que j’espèrerai commune.

D’ailleurs, là est peut-être le véritable drame en éducation: on a oublié le problème pour ne se chicaner que sur des solutions, toutes aussi imparfaites les unes que les autres. Au lieu de nous écouter et de nous entendre, nous avons préféré chercher l'approbation d'un ministre en poste comme des enfants se tournent vers un parent pour gagner leur point au lieu d'essayer d'agir en adulte.

Encore une fois, comme je l’ai souvent écrit, rien n’avancera au Québec en éducation si personne ne fait de compromis et accepte des solutions qui sauront entraîner la participation de tous. Parce que, pour l’instant, les élèves attendent qu’on travaille pour eux. Pas pour nos seules convictions.

4 commentaires:

Joel a dit…

C'est extrêment intéressant que de vous lire Monsieur...Je vous lis depuis quelques temps et je dois avouer que je respecte la rectitude de vos propos et la cohérence de votre analyse...Je suis gestionnaire depuis quelques années, prof de français de formation... Je vous rejoins sur le fait que le PDF ne répond pas aux réels besoins, ne serait-ce que par sa complexité...Cependant, si l'on veut assurer l'égalité des chances de réussite, il faut se référer quand même à quelque chose non? Si imparfait soit-il...Le problème, à mon humble avis, reste le même qu'avant la réforme (mais amplifié...)L'enseignement des contenus est inégal mais pas autant que l'évaluation des élèves...L'enseignement du français est difficile et les critères d'évaluation ne sont pas bien compris des élèves...et même par leur enseignant dans certains cas...

Bref, tout cela conjugué au fait que notre société manque de rigueur et n'accorde pas l'importance à l'Éducation...

C'était mon humble avis...;-)

Bonne journée à vous, enseignants, pour qui j'ai un immense respect...

Le professeur masqué a dit…

Joel: Ben, merci, puis merci pour votre sensibilité à l'égard des enseignants.

Jonathan Livingston a dit…

Intéressante analyse autour de l'idée de savoir si on a eu une bonne ministre.

Pour ma part, elle a au départ été sur le terrain entendre les difficultés et la critique de la réforme. Ensuite, contre toute la machine, elle a essayé de ramener le ministère aux préoccupations des enseignants... Mais bon, c'est ce qu'elle a eu l'air de faire!

Enfin, arbitrer la confusion de terrain avec les idées aériennes de la réforme bien tenues en laisse par une fonction publique convaincue et les cercles de sciences de l'éducation ne peut pas être une grande partie de plaisir... C'est encore bon qu'elle ait tenu tout ce temps...

Globalement, je l'ai trouvé sympathique et assez courageuse vu le contexte. Évidemment, il reste bien du chemin à faire pour ramener l'ordre dans les troupes.

Jonathan Livingston a dit…

Je frappe dans le tas souvent, mais je suis d'accord avec toi. Tout est matière de compromis. Je crois qu'en ce moment, on doit trouver le moyen de faire coexister les approches centrées sur l'enseignement et celle centrées sur l'élève pour finalement avoir un équilibre dans le discours avec ce que la réalité éducative d'aujourd'hui commande.

Actuellement, l'enseignement explicite et stratégique qui était en début 1990 l'approche moderne qui se développait pour changer l'école a été complètement évacué.

On a oublié le «modeler, guider, rendre autonome» de cette pédagogie qui respecte le besoin de la plupart des élèves de ne pas être surchargés d'information pour apprendre, mais progressivement et activement guidé avec un souci de construire finement et pas à pas leurs connaissances déclaratives, procédurales et conditionnelles qui bien agencées développent la compétence. Cette approche qui tient compte des données de recherches sur le développement cognitifs avaient beaucoup à apporter à l'école.

La permettre et même la partager sans faire de procès idéologique n'est pas revenir en arrière, c'est simplement permettre à une branche prometteuse (parce que très documentée par la recherche pour ces effets positifs)de se déployer dans le système. Il n'y a pas besoin d'interdire l'emploi de la pédagogie de projet dans les contextes où elle est possible. Mais il faut sortir de l'univers des conseillers pédagogiques et du MELS contrôlés par une seule approche pédagogique parfaite et indiscutable à améliorer. Pourquoi ce fanatisme à rejeter ce qui est différent et même ce que la recherche en éducation a de bon à nous donner?

Et l'enseignement efficace n'est pas, mais absolument pas revenir à un enseignement bête des connaissances déclaratives. Mais simplement baliser le cheminement délicat des niveaux de connaissances aux compétences qu'on vise toujours. (Quoique, on pourrait revoir certaines attentes qui pour l'ensemble de la population à éduquer n'est pas réaliste.) C'est cette approche qu'on m'a enseigné en formation des maîtres en 1992-1994, et à l'époque, c'était la modernité.

Cet entêtement à refuser des indications sur les comportements précis, mesurables, attendus est assez étonnants.

On nous donne encore de la Finlande en exemple: on a revu 4 fois dans ce pays le programme avant de trouver enfin la forme précise qui convenait à tout le monde là-bas.

Oui, il faut des compromis pour favoriser le dialogue et la complémentarité et non pour asseoir la domination d'une vision.

Je suis, je dois dire, moi-même tellement en colère à cause de ce climat et de cette police pédagogique qu'on a imposé qu'il m'est difficile d'être encore patient avec ceux qui s'alignent encore dans le discours qui empêche la liberté pédagogique professionnelle, c'est-à-dire fondée dans des méthodes reconnues, de donner ses fruits. J'ai toujours le goût de les sonner!

Quand je verrai vraiment le début d'une ouverture dans leurs esprits fermés, je commencerai à me radoucir, mais pour le moment, je suis saturé de leur plaintive nostalgie.